CINEMA - PHOENIX : LE PARADOXE DES FANTOMES
"Le cinéma n'est pas le lieu des réponses, il donne à voir. Lorsque on a compris celà on peut envisager de tourner un film historique....je n'ai toujours pas compris comment un système arrivait à créer en 5 à 6 ans un antisémitisme qui devient un mouvement de masse ? Dans son autobiographie l'essayiste allemand SEBASTIAN HAFFNER raconte qu'en 1933, deux jours après l'élection d'Hitler, des SA ont pris d'assaut le tribunal berlinois où il travaillait; ils ont frappés battus tous les avocats et procureurs qui étaient juif. A 25ans, Haffner était assis dans la bibliothèque et il lisait. Il avait entendu ses collègues crier mais il avait continué à lire en se disant "je n'ai rien à voir avec ça". Deux SA rentrent, le regardent et lui demandent "Juif ou pas juif", il avait répondu "pas juif". C'est à ce moment-là qu'il a perdu son humanité, dit-il. C'est le moment clef où il avait accepté la détermination des nazis. C'est le même moment déterminant de l'histoire de Johnny de "PHOENIX"..... J'ai voulu éviter les clichés du film historique et mettre du mystère. Dans les films des allemands qui ont fuit les nazis la lumière fait que les yeux de ceux qui ont fuit le pays c'est pas seulement un regard pointé sur quelque chose, c'est quelque chose qui est liquéfié comme des lacs mais les yeux sont un passage vers l'âme. Ce sont des fantômes chassés de l'Allemagne....Les silhouettes au cinéma sont avant tout une respiration, un jeu d'ombre, on tente de découvrir leur véritable aspect. Dans mon film Nelly est une silhouette qui rentre chez elle. Grâce à la lumière elle voit qu'elle est radieuse d'amour et de désir. Mais c'est quelqu'un d'autre qui a fait naître cette lumière, ce n'est pas elle. Quand l'ombre se dissipe elle a perdu. Elle est debout comme un fantôme sorti de la forêt . Elle pense "les fantômes c'est les autres" ; à partir de là, le film change. Dans mon précédent film "BARBARA" je racontais l'histoire d'un couple d'amoureux en route vers l'amour. Dans "Phoénix" le couple a déjà perdu l'amour; il ne parle pas de l'amour lui même. Ça reste un film optimiste. Au final elle tombera son masque et retrouvera sa voix et sa voie. On la croyait morte et on la retrouvera plus vivante que tous; le futur lui appartient."
Ce sont ces paroles du réalisateur CHRISTIAN PETZOLD qui, de mon point de vue, aident le mieux à comprendre ce film. Il incarne cette nouvelle génération de cinéaste allemand (la nouvelle école de Berlin) qui cherche à se différencier des films germanophones qui avaient effacer toute une période de l'histoire pour ne montrer qu'une Allemagne heureuse, souriante, verdoyante avec des gens qui boivent et rient en chantant alors qu'ils ne savent toujours pas où ils en sont avec leur passé.
Avant de tourner son film il a regardé avec les acteurs plusieurs fois "VERTIGO" "pour leurs transmettre d'avantage une idée et aussi "les parapluies de Cherbourg" qui est une comédie musicale noire, sans harmonie où on chante et où on parle d'amour; des enfants naissent hors mariage, il y a la guerre d'Algérie, les amants le resteront peut être pour toujours, c'est ce qui m'a plu. On a vu aussi les "tueurs" de ROBERT SIODMAK qui lui même fut un Nazi. On a vu encore des ROBERTO ROSSELLINI et "une partie de campagne" de RENOIR dans lequel "Phoenix" est contenu"...."Le cinéma oblige à travailler en collectif, le plus moderne est le plus collectif. Je travaille volontairement avec un budget restreint pour favoriser une mise en commun de la créativité et l'énergie".
Ce film a été tourné en 36 jours dans l'ordre chronologique des scènes :" je ne pouvais pas imaginer cette histoire autrement". Il a été tourné en kodachrome pour avoir une palette de vert et de rouges ce que ne rendrait pas le numérique (il n'aime pas tourner en noir et blanc pour faire historique).
Un mot sur le scénario co-écrit avec HAWIN FAROCKI à partir de l'oeuvre du Français HUBERT MONTEIHET "Retour des cendres" et après la lecture du texte d'ALEXANDER KULGE" "une expérience d'amour" qui raconte que les nazis pratiquaient des expériences sur les femmes juives pour les rendre stériles avec des rayons. Après ils les remettaient avec leurs amants pour qu'ils fassent l'amour afin de vérifier si elles étaient bien devenues stériles. Une fois un couple avait refusé de se toucher et avait été exécuté, mais disait l'auteur, cet échec nazis était une victoire de l'amour.
PHOENIX (du nom d'un bar dans lequel travaille Jhonny Lenz (RONAL ZEHRFELD). Sa femme une chanteuse juive allemande a été déportée dans le camp d'AUSCHWITZ. A la fin de la guerre elle survit mais doit subir une lourde opération au visage. Nelly Lenz (NINA HOSS) essaie de retrouver son mari qui la croit morte. Les américains qui surveillent les entrées et sorties de Berlin l'obligent à défaire son bandage car les nazis ont tendance à faire croire qu'ils ne sont que des blessés pour s'enfuir. Berlin est un vaste tas de décombres mais aidée par une amie qui est une employée de l'agence juive qui lui déconseille, en vain, de rechercher. Elle a tout perdue, sa ville, son amour et son identité (elle ne se reconnaît pas avec son nouveau visage) mais elle à confiance et finit par retrouver son Johnny qui ne la reconnaît pas mais comme sa femme était la seule héritière d'une riche famille juive, il lui demande de devenir le sosie de sa femme pour s'approprier sa richesse. NELLY cède à ses caprices mais elle veut savoir si il l'a réellement aimé ou si il l'a trahi et si il n'y a que l'argent qui l'intéresse....
Les allemands ont fait un accueil mitigé à ce film sous prétexte qu'une survivante des camps ne peut pas être un personnage comme un autre! En fait, il semble surtout que c'est le sujet de film qui les dérange incapables d'assumer leur histoire: "l'Allemagne d'aujourd'hui parait toujours pas savoir qui elle est". Les sélectionneurs des films pour le festival de CANNES n'ont pas été plus courageux, ils ont botté en touche alors que du point de vue de la mise en scène il ne manquait pas de qualité.
Durée du film 1 h 38
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