CINEMA - APPRENTICE : UN SUJET QUI SORT DE L'ORDINAIRE

27 mai 2016

CINEMA - APPRENTICE : UN SUJET QUI SORT DE L'ORDINAIRE

Le cinéma de SINGAPOUR n'est pas celui qui accapare les écrans, mais celui de BOO JUNFENG ne laisse jamais les festivals Internationaux indifférents. On ne compte plus le nombre de récompenses reçues par ce jeune cinéaste formé dans les écoles du cinéma de Singapour et en Espagne pour des oeuvres avant tout centrée sur l'identité, la mémoire et la sexualité depuis 2005. En 2008 il a reçu le prix Nc NALLY pour son "excellence dans les arts" et trois ans plus tard le "prix de la jeunesse" de Singapour. Entre temps il avait reçu la "CAMERA d'OR" de Cannes (2010). Et cette année encore son film "APPRENTICE" a fait parti de la sélection cannoise pour "Un certain regard".

Le sujet de ce dernier sort de l'ordinaire non seulement parce qu'il traite de la peine de mort toujours en application dans cette île de la péninsule malaise (Asie du sud-est), mais aussi parce qu'il aborde son sujet à travers la formation d'un futur bourreau et non à partir de celle d'un condamné à mort : "A Singapour, on cultive beaucoup l'Insécurité. La peine de mort rassure nos concitoyens; les criminels disparaissent, ils ne sont plus un problème.....Je devais absolument être rigoureux et prendre le temps de me poser les bonnes questions ce qui d'ailleurs m'a ouvert les yeux. Préparer un tel film m'a demandé cinq années à cause de la documentation qui nécessite de parler longuement avec les personnes directement concernées, les conseillers religieux très proches des condamnés, les familles des détenus (Il ne nous a pas été possible d'approcher de vrais condamnés), les avocats qui ont un accès privilégiés avec les condamnés; ceci pour comprendre ce qu'ils endurent et bien sur aussi les bourreaux. Préparer un tel film fait réfléchir et grandir, pas seulement intellectuellement mais aussi émotionnellement. "Apprentice" est l'amorce d'une conversation que beaucoup de gens n'ont pas envie d'avoir."

L'histoire est celle d'AIMAN un policier de 28 ans transféré récemment dans la prison de haute surveillance carcérale où les condamnés à mort attendent leur exécution par pendaison. Il vit dans un appartement modeste avec sa soeur aînée SUHAILA (AHMAD MASTURA). Il avait quitté la brutalité des gangs des rues pour s'engager dans l'armée avant de se reconvertir en gardien de prison où on apprécie son professionnalisme. Dans cette prison spéciale AIMAN cherche sans que d'abord on sache pourquoi à se rapprocher du bourreau RAHIM (WAN HANOFI SU) , 65 ans, qui officie depuis de longue années (30 ans), comme s'il avait une attirance pour la pendaison?. Après qu'il ait fait sa connaissance, AIMAN annonce à sa soeur son intention d'accepter la proposition du vieux bourreau d'en faire son assistant (Apprentice), travail qui demande beaucoup de courage et pour lequel on ne se bouscule pas. Au lieu d'être heureuse, sa soeur est bouleversée. Lui insiste: "je veux aider ceux qui veulent changer, les rendre meilleurs".

Accepté dans sa fonction d'apprentis, Rahim forme son élève. Il lui apprend comment faire pour "apprivoiser" la corde qui est l'instrument du supplice et tout ce qui relève de sa fonction comme la bonne marche de la potence mais aussi la façon de mettre la corde autour du cou du condamné. Aiman essaie de ne rien laisser paraître de son passé qui le hante et cherche, en permanence, à surmonter sa conscience qui quelque part l'a poussé à se rapprocher du bourreau de la prison alors qu'il avait tout le savoir faire pour gravir les échelons des policiers gardiens de prisons. le lourd secret de famille qu'il cache pourrait bien avoir des conséquences sur sa carrière....

Bien qu'il a été obligé d'aller tourner en Australie dans une prison désaffectée, Boo a fait en sorte que tous les décors soient très proches de la réalité de Singapour: couloirs de la prison liés à l'endroit de la potence, cellules armurerie et tours de guet.

Pour ce film le réalisateur s'est efforcé de rester neutre, de ne pas influencer le spectateur dans un sens ou l'autre afin de privilégier la réflexion des autres sans trop affirmer ou infirmer. Pour cela il est contraint de dresser un portrait ambigu de son personnage principal; c'est au travers d'une question :" Tu crois que c'est l'homme qui a tué papa?" que sa fascination pour le métier de bourreau prend dans l'esprit du spectateur une autre tournure et laisse entrevoir pourquoi la mort ne le quitte pas. Mais alors que lui semble chercher la rédemption ou la vengeance, sa soeur, elle, préférera aller chercher ailleurs celui qui l'aidera à oublier. Le piège va se refermer sur AIMAN dans une voie dont on redoute l'issue dans ce pays où pour un simple petit trafic de stupéfiant on peut se retrouver au bout d'une corde.

Des critiques ont reproché à ce film quelques temps morts et des difficultés à comprendre où le réalisateur veut en venir, mais ça reste un film qui sort de l'ordinaire.